XIII
UN JOUR DE FÊTE

Adam Bolitho, debout près d’une fenêtre dans le bureau de Jonathan Chase, contemplait les rangées de moutons qui balayaient sans relâche la baie du Massachusetts. Cela faisait tout juste une heure que le canot du Vivace l’avait déposé à terre où attendait un agent de Chase, tout étonné de le trouver là. En fait, le retour du Vivace sous les couleurs britanniques avait causé un certain émoi dans tout Boston.

Il avait l’impression de vivre un rêve : Chase l’avait accueilli chez lui, non sans montrer une certaine réserve, de la méfiance même. Adam lui avait remis la grosse enveloppe cachetée que lui avait confiée son oncle.

Il frissonna. C’était le climat de la Nouvelle-Angleterre, un temps de septembre en Atlantique. Songer à San Felipe le faisait se sentir étrangement coupable. Le pire, c’est que rien de tout cela ne lui paraissait réel. Il était là, et Chase, avant de le quitter un peu précipitamment pour aller lire la lettre de Bolitho, lui avait dit que Robina était avec sa mère à Boston et qu’on les attendait incessamment.

Adam se retourna pour admirer la pièce, ses tableaux, ses souvenirs de marine. C’était un endroit qui convenait parfaitement à un homme comme Chase, songea-t-il, ancien marin, ex-ennemi au demeurant, et qui avait planté là ses racines.

Il repensait à ces dix jours de traversée, de San Felipe à Boston. Quelle différence avec l’autre voyage, quand Jethro Tyrrell lui racontait toutes ses histoires ! Cette fois, même dans l’atmosphère confinée du brigantin, il lui avait à peine adressé la parole et leurs échanges s’étaient limités à ce qui regardait la navigation et l’état du ciel.

Et comment se faisait-il que son oncle eût conçu cette idée de se procurer Le Vivace et de le lui confier, et comment se faisait-il que Chase fût vendeur ? Cela en faisait, des mystères, mais pas une de ces questions ne valait la peine qu’il s’y arrêtât, maintenant qu’il était de retour et qu’il comptait bien revoir Robina.

— Je suis désolé de vous faire attendre.

Chase, homme à la carrure impressionnante, n’avait pourtant pas fait plus de bruit qu’un chat en regagnant son bureau, où il se carra dans un fauteuil en prenant tout son temps.

— J’ai pris connaissance de la lettre de votre oncle, commença-t-il, et j’ai donné ordre de faire porter le second pli contenu dans l’enveloppe à Sam Fane – il scrutait le lieutenant de vaisseau. Surprenant, qu’il vous ait envoyé, vous.

Adam haussa les épaules. Il n’avait pas vu les choses sous cet angle.

— Je me trouvais disponible, monsieur. Le capitaine de vaisseau Keen a besoin de tous ses officiers à bord du bâtiment amiral.

— Hum. Votre oncle m’a dit qu’il détestait la politique. Je crois pourtant qu’il s’y entend fort bien – et sans épiloguer davantage, il continua : Comme vous l’avez vu en entrant dans le port de Boston, les vaisseaux de guerre français sont partis. Leur amiral n’a guère envie de recevoir San Felipe des mains des Britanniques tant que les choses ne sont pas claires.

— Mais, monsieur, Français et Espagnols ont été alliés plus souvent qu’à leur tour.

Pour la première fois, Chase esquissa un sourire.

— Les Français auraient besoin de l’alliance de l’Espagne si la guerre reprenait. S’il doit y avoir conflit autour de San Felipe, les Français tiennent à ce que ce ne soit pas de leur fait. Ils seraient satisfaits si vos bâtiments disparaissaient sous un nuage après avoir repoussé toutes les prétentions espagnoles sur l’île.

Alors, et alors seulement, l’amiral français verra s’il juge utile d’en prendre le contrôle effectif et d’y installer un gouverneur.

— Je trouve déplorable de jouer ainsi avec la vie des gens, répondit Adam.

— C’est possible, fit Chase en hochant la tête, mais l’existence de San Felipe est un fait. En temps de guerre comme en temps de paix, l’île commande une route maritime d’importance. Le gouvernement de mon pays préférerait la savoir entre des mains amies, ou mieux encore, sous notre protection. C’est ce que Sir Humphrey Rivers a suggéré. En votre qualité d’aide de camp du vice-amiral Bolitho, vous êtes naturellement au courant. Je sais que vous êtes aussi perspicace que votre oncle dans ce domaine et vous avez compris que Rivers, malgré ses protestations de fidélité au roi George, ne tient qu’à une chose : sa liberté. Il a joué une partie dangereuse en discutant de l’avenir de l’île avec l’Espagne ou, pour être plus précis, avec le capitaine général qui réside à La Guaira. Un secret partagé ne reste guère secret – il poussa un profond soupir. Peu importe, on ne peut rien partager avec un tigre.

Il guetta la réaction d’Adam et vit que son discours retenait toute son attention.

— Je vous parle très librement, car nous n’avons ni l’un ni l’autre de moyen de pression dans cette affaire. Je devinais l’intérêt de l’Espagne parce que j’ai des relations avec le capitaine général de La Guaira et avec son collègue de Caracas. Ils ont toujours pensé que leur gouvernement ne comprenait rien à l’expansion de leur empire en Amérique du Sud. Chaque semaine, les négriers apportent des esclaves pour les mines et les plantations, et ils font sans doute passer leurs gros galions qui rentrent au pays chargés d’or jusqu’au plat-bord. La situation de San Felipe a menacé leur liberté de mouvement par le passé. Ils ont l’intention d’y mettre bon ordre.

Adam revit soudain l’Achate mouillé à San Felipe, ses vergues démontées pour réparation par l’équipage. Il aurait eu grand besoin des compétences d’un chantier naval.

— Mais ce deux-ponts ! s’exclama-t-il.

Chase eut un sourire grave.

— Celui que vous avez coulé ? Oh oui, monsieur, j’en ai entendu parler, j’ai mes propres sources. Il s’appelait l’lntrépide, il a été réarmé à Cadix et équipé pour pouvoir se mesurer à tous les imbéciles assez sots pour s’opposer à lui. Corsaire, aventurier, appelez ça comme vous voudrez, mais son commandant avait reçu l’ordre de balayer toute opposition et de prendre possession de l’île. Un peu plus tard, ils auraient installé un gouverneur et le pavillon espagnol aurait été hissé sans que cela suscite, j’imagine, une grosse opposition de la part des Britanniques ni des Français. Votre gouvernement aurait été trop embarrassé pour gaspiller davantage de temps et de vies humaines à défendre une cause perdue. Et les Français n’auraient pas fait trop d’objections non plus, dans la mesure où cela faisait des Espagnols leurs obligés pour toute politique qu’ils seraient amenés à conduire – et, se renfonçant dans son siège : Etes-vous satisfait de mon explication ? conclut-il.

Adam hocha la tête, perplexe et abattu par la simplicité apparente de ce raisonnement cruellement logique.

— Mais les choses réservent perpétuellement des surprises, reprit Chase. Les Espagnols pensent en Espagnols. Ils ont l’esprit vif, ils sont rusés, durs, mais ils ont oublié de tenir compte dans leur plan de la ténacité de votre oncle. Pourtant, c’est lui que je plains. Il est seul à se dresser entre les Espagnols et leurs prétentions sur San Felipe. Je pense que tout cela était déjà connu lorsqu’on l’a envoyé ici. N’y voyez pas offense, mais les Britanniques peuvent être assez retors lorsqu’ils négocient. Pourquoi se préoccuper d’honneur lorsqu’il s’agit de choses qui se passent à l’autre bout du monde, hein ?

— Je n’arrive pas à y croire, monsieur, mon oncle tiendra bon.

Chase avait l’air préoccupé.

— Bien sûr, je ne peux pas y croire moi non plus. Mais, sans le soutien des habitants, que peut-il encore faire ? Camper là et se battre ?

Adam serra les poings de toutes ses forces, à s’en faire pleurer.

— Il se battra !

Chase détourna le regard, incapable de supporter son désespoir.

— Dans ce cas, Dieu lui vienne en aide.

La porte s’ouvrit et Adam entendit la jeune fille demander, tout excitée :

— Mais où l’avez-vous donc caché, mon oncle ? Et qu’est-ce que c’est que cette histoire, il paraît que vous allez vendre Le Vivace, alors que c’est votre préféré !

Elle se retourna, l’aperçut près de la fenêtre et poussa un cri de surprise :

— Mais vous êtes là ! – et, courant à lui, elle lui déposa un léger baiser sur la joue. C’est merveilleux !

Adam n’osait pas la toucher, la serrer dans ses bras. Par-dessus son épaule, il voyait bien que son oncle était inquiet.

Chase répondit sombrement :

— Le Vivace n’a jamais été que très secondaire au sein de ma flotte. Tyrrell l’a bien mérité, plutôt deux fois qu’une.

Ce disant, il gardait les yeux fixés sur Adam. Il ne toucha pas un mot de l’argent proposé par Bolitho.

Il se dirigea vers la porte sans quitter du regard le jeune couple qui se tenait près de la fenêtre.

Mais il n’y avait pas moyen d’y couper, et il continua d’un ton plus sec :

— Le Vivace doit appareiller avant la nuit, le lieutenant de vaisseau Bolitho a d’importantes nouvelles pour son oncle, n’est-ce pas ?

Adam hochait lentement la tête. Il le détestait et l’admirait pourtant en même temps.

Combien de temps ils restèrent là, il n’aurait su le dire. Il la serrait tout contre lui, murmurait des mots tendres dans ses cheveux, elle rentrait les épaules, comme incapable de comprendre ce qui se passait.

Elle se détacha un peu et le regarda dans les yeux :

— Pourquoi ? Quelle importance à présent ? Nous n’aurons plus qu’à nous occuper l’un de l’autre ! C’est tout ce que nous avons désiré ! Alors, pourquoi ?

Adam souleva délicatement une mèche de cheveux blonds qui lui retombait sur l’œil. Toutes ses espérances, tout son bonheur lui échappaient comme les grains de sable s’écoulent dans le sablier.

— Je dois repartir, Robina. Votre oncle en connaît la raison. Il saura mieux vous l’expliquer que je ne puis le faire.

Ses yeux étincelaient de colère.

— Mais en quoi tout ceci vous concerne-t-il ? Vous n’êtes qu’un modeste lieutenant de vaisseau, pourquoi vous parlerait-il de choses pareilles ?

Elle essaya de se dégager, mais Adam la retint fermement.

— Nous avons dû soutenir plusieurs combats. Nous avons coulé un vaisseau ennemi, mais le nôtre est gravement endommagé… – il la sentait céder au fur et à mesure qu’elle comprenait – … et mon oncle s’est rendu compte des périls qui menaçaient cette île, il sait qui agissait en sous-main. Il m’a envoyé ici pour remettre des dépêches à votre oncle, afin qu’il communique ces renseignements à votre président.

Elle le buvait des yeux tandis qu’il parlait.

— Mais en quoi cela concerne-t-il mon oncle ou quelque membre de ma famille ?

Adam haussa les épaules, découragé.

— Parce qu’ils sont mêlés à cette affaire. Ils connaissaient de longue date les intentions des Espagnols, votre oncle vient justement de me le confirmer. Apparemment, votre gouvernement n’a pas envie de voir flotter sur San Felipe le pavillon français ni le nôtre. Mais maintenant que mon oncle a mis tout ceci en pleine lumière, nul n’osera plus s’ingérer là-dedans – il ne pouvait plus prendre sur lui, même devant elle : Mon oncle se trouve donc seul à essayer d’agir comme il pense devoir le faire, fit-il, amer.

Elle recula un peu, les yeux baissés, et prononça d’une voix faible :

— Ainsi, vous n’avez pas l’intention de vivre ici, parmi nous ?

— Mais pas du tout ! Je vous aime de tout mon cœur !

— Et pourtant, vous me refusez ceci ?

Adam s’avança vers elle, mais elle recula encore de deux pas.

— C’est mon devoir…

Elle leva les yeux vers lui, des yeux remplis de larmes.

— Votre devoir ! Mais que m’importe votre devoir ! Nous sommes jeunes tous les deux, comme ce pays, pourquoi devriez-vous ignorer ce que vous dicte votre cœur, pour un mot sans signification comme devoir !

Adam entendit le pas de Chase dans le corridor, puis un autre pas, plus léger celui-là : la mère de Robina. Ils apparurent tous deux dans l’embrasure. Chase avait l’air calme et déterminé, la femme était pâle d’inquiétude.

— Vous lui avez parlé ? demanda sèchement Chase.

— En partie, monsieur, fit Adam en le regardant calmement.

— Je vois – il avait l’air soulagé. Votre Mr. Tyrrell semble pressé de s’en aller. Le vent refuse…

Il laissa sa phrase inachevée.

— Merci.

Adam se tourna vers la jeune fille, les autres n’existaient plus, comme perdus dans le brouillard.

— Je vous ai parlé du fond du cœur. Un jour, je reviendrai et alors…

Elle baissa les yeux.

— Je crois qu’il sera trop tard.

Chase prit le bras d’Adam et le conduisit dans le hall magnifiquement lambrissé. Un laquais noir ouvrit la porte d’entrée et Adam aperçut des taches bleues de mer et de ciel qui semblaient le narguer.

— Je suis désolé, lui dit Chase, je suis sincèrement désolé. Mais c’est mieux ainsi, vous le comprendrez plus tard.

Adam descendit les marches et aperçut Tyrrell qui l’attendait près du portail. Celui-ci ne quitta pas des yeux le jeune officier qui descendait l’allée puis, clopin-clopant, vint sur son flanc se mettre au pas.

— Vous avez pris votre décision ?

— D’autres ont décidé pour moi.

Adam, tout à sa douleur et à son désespoir, voyait à peine où il posait les pieds.

— Je n’en suis pas sûr, monsieur – Tyrrell lui jeta un regard rapide. Je devine ce que vous ressentez.

Adam se tourna vers lui, très irrité :

— Et quelle différence cela fait-il ? Vous m’avez à peine dit un mot pendant toute la traversée !

Il pressa le pas lorsqu’il aperçut le brigantin au mouillage.

— N’empêche, vous êtes fait comme moi, monsieur : votre fidélité n’est pas négociable.

Ils s’arrêtèrent au bout de la jetée pour attendre le canot qui devait les prendre.

Tyrrell regardait tour à tour Adam et sa nouvelle acquisition. Il savait ce que voulait dire avoir le cœur brisé, il l’avait appris plus souvent qu’à son tour. Mais un bâtiment bien à soi, c’était autre chose.

Il donna une grande claque sur l’épaule de l’officier.

— Allez, venez, mon jeune ami ; pour une fois que nous aurons le vent et la marée, profitons-en !

Adam hésita, finit par se retourner, mais la grande demeure était dissimulée à leurs yeux. Il se répéta ce qu’il lui avait dit : je vous aime de tout mon cœur.

Mais il avait parlé à voix haute sans s’en rendre compte, et Tyrrell finit par lui dire :

— Vous oublierez vite. Il n’y a que les rêves pour durer éternellement.

 

Bolitho atteignit la dernière des marches de pierre qui menaient au parapet de la forteresse et se rendit compte avec satisfaction qu’il n’était pas le moins du monde essoufflé. Ce devait être le changement d’air, après la vie à bord.

Il était encore tôt, l’air était frais et humide après la grosse pluie de la nuit. C’était vraiment le climat de toutes les îles de la région, se dit-il : des torrents d’eau la nuit, et pourtant, après une heure de soleil ou deux, tout serait redevenu sec comme de l’amadou.

Le lieutenant George Lemoine, qui commandait la section du 6e d’infanterie, le salua en souriant.

— Je vous ai entendu vous lever, et de bonne heure, amiral.

Bolitho se pencha sur le parapet pour examiner le port qui scintillait en contrebas. Une grande partie du mouillage était encore noyée dans l’ombre, mais le soleil allait bientôt émerger au-dessus du vieux volcan, et les navires, tout comme la ville qui se trouvait un peu plus loin, allaient vibrer dans la brume de chaleur. Il apercevait les lignes noir et chamois des ponts de l’Achate. Keen était sans doute toujours occupé à faire la liste interminable de tout ce dont il avait besoin.

Les vivres frais commençaient à manquer, même l’eau douce devait être portée à bras dans des tonneaux. Les insulaires continuaient de montrer un farouche refus de coopérer si peu que ce fût, et allaient, histoire de faire de la résistance, jusqu’à s’abriter derrière leur misère quand les marins leur demandaient des fruits frais ou de quoi se désaltérer.

Bolitho avait fait tout ce qu’il avait pu pour mieux connaître les habitants. En tant qu’amiral et gouverneur responsable de la défense de l’île, il savait trop bien que la situation était sans espoir. Les planteurs et les négociants subissaient l’immobilisation forcée de leurs navires, tandis que ceux qui faisaient relâche pour venir prendre du fret subissaient des fouilles avant d’être autorisés à jeter l’ancre. Il aurait fallu l’effectif d’une garnison et plusieurs bâtiments pour faire ce qu’effectuaient là les soldats de Lemoine et les fusiliers.

Bolitho inspira profondément. Il aperçut son canot amarré au pied de la forteresse, là même où il avait rencontré Rivers pour la première fois, trois mois plus tôt. Un peu plus loin, l’endroit où les hommes de Rivers avaient installé leur barrage, là où l’Achate avait fait irruption dans une nuit de poix. Des combats, des morts et des blessés, des broutilles pour ces messieurs qui échafaudaient des plans au gouvernement et à l’Amirauté.

On était à la fin de septembre, Adam pouvait revenir d’un moment à l’autre. Il songea à son intention d’acquérir Le Vivace : récompense, corruption ? Il ne savait trop.

Il songeait aussi à Falmouth. L’automne, les feuilles rouges et marron, les senteurs de fumée dans le soir. Un peuple chaleureux, volontaire, qui connaissait maintenant la paix, grâce à des vaisseaux comme l’Achate.

Il n’avait pas eu d’autre lettre de Belinda, mais ils n’avaient d’ailleurs reçu aucune nouvelle de nulle part. Ce n’étaient pas les quelques fois où les vigies avaient signalé les huniers d’un bâtiment de guerre non identifié qui contrebalançaient cette impression d’être au bout du monde.

Peut-être tout était-il terminé avant même d’avoir commencé ? La découverte inattendue par l’Achate du deux-ponts caché puis sa destruction, le tout en l’espace d’une heure, avait peut-être calmé les ardeurs et mis fin aux velléités de les attaquer ?

L’incertitude le rendait pourtant inquiet et l’empêchait souvent de dormir. Il avait entrepris de faire le tour de l’île à cheval pendant qu’il faisait encore frais, ou de monter à la forteresse, ne fût-ce que pour montrer aux soldats qu’il ne les oubliait pas.

Il se demandait si les échos de cette guerre étaient allés jusqu’à Londres et s’étaient répandus dans le pays. Belinda était-elle au courant de ce qui se passait ici ? Il se trouverait bien des gens pour expliquer que ses efforts n’étaient qu’une aventure inutile, une manœuvre pour tenter de minimiser la perte de l’Epervier.

Une sentinelle cria soudain :

— Le bruit du canon, amiral ! C’est dans l’est !

Lemoine se raidit :

— Bon sang, il a raison ! – et, mettant ses mains en porte-voix : Caporal ! donnez l’alarme au clairon !

Bolitho vit les soldats en tunique rouge surgir de leurs quartiers, des espèces de souterrains creusés dans les murs de la batterie.

Ce n’était probablement pas grand-chose, quelque manifestation d’insolence de la part d’un espagnol de passage. Mais ils ne pouvaient pas se permettre de courir le moindre risque.

Cherchant des yeux autour de lui, il aperçut la silhouette sombre de l’aspirant Evans, qui se tenait sous la tour de guet et qui déjà tirait une lunette de son étui.

C’était étrange, ce garçon le suivait partout et semblait doué de double vue, tant il devinait ce dont il allait avoir besoin.

Mais il faisait encore trop sombre pour distinguer quoi que ce fût du côté de la pointe. Ou bien, là-bas ? Oui, c’était cela, un éclair qui se réfléchissait sur un nuage bas rebondi, puis un second. Le feu n’était pas assez nourri pour être dû à un combat naval. Cela tenait de la poursuite, plutôt.

— Monsieur Evans, ordonna-t-il, faites passer au canot de rade. Prévenez le bâtiment, mes compliments au commandant Keen et dites-lui que nous risquons fort d’avoir de la compagnie avant que le jour soit levé.

Il aperçut Crocker, le plus vieux canonnier du bord, qui se précipitait vers la batterie haute, suivi de quelques soldats.

Crocker était sans doute le plus âgé du bord et ces cheveux blancs rassemblés en catogan hérissé, cette bizarre démarche bondissante faisaient de lui un personnage. Il ne voyait quasiment rien de l’œil gauche, dont un éclis lui avait presque ôté l’usage alors qu’il n’était guère plus vieux qu’Adam ; mais l’autre était perçant pour deux, et le bonhomme s’entendait à charger et à pointer aussi bien qu’une équipe de servants au complet. Il savait également chauffer le boulet, et Bolitho crut déjà sentir les âcres vapeurs montant de l’un des fourneaux derrière la berge de tranchée.

Crocker parut surpris de voir son amiral sur la muraille. La main sur le front, il tourna la tête pour essayer de mieux voir ce qui se passait. Cette attitude le rendait encore plus laid et Bolitho comprit pourquoi les chefs de pièce craignaient à ce point ses coups de gueule.

— Jolie matinée pour tirer un petit coup, amiral !

— Soyez paré, répondit Bolitho en souriant.

Lemoine regarda l’homme s’éloigner de sa démarche chaloupée avec ses aides :

— Sûr et certain qu’il tient mes hommes sur le gril, amiral !

Une cloche tinta quelque part à un clocher de la ville ; le son en était étrangement triste dans l’air humide.

Bolitho pointa sa lunette sur le vaisseau.

— Qu’avons-nous entendu, monsieur Lemoine ?

Le lieutenant étouffa un bâillement. Il avait veillé jusqu’aux petites heures du matin, à perdre partie de cartes sur partie de cartes avec son adjoint.

— La population de l’île est en majorité catholique, amiral. On appelle à la messe du matin – et, comme Bolitho ne voyait toujours pas : C’est une grande fête aujourd’hui, amiral, ajouta-t-il charitablement : la Saint-Damien.

Bolitho se dit que Lemoine n’avait pas perdu son temps depuis qu’il était au régiment, alors que bien d’autres ne se cassaient jamais la tête avec ce qui pouvait déborder leur petit univers bien rangé.

La canonnade repartait. Ils devaient essayer d’empêcher un navire d’entrer dans le port. Il songea à Adam : non, pas lui. Tyrrell était trop fin renard pour se faire prendre ainsi, aux aurores.

Il déplaça légèrement sa lunette et distingua la pointe qui sortait de l’ombre sur l’autre bord. Il voyait maintenant nettement les brisants qui déferlaient autour des récifs, et, plus loin, la ceinture de roches autour de la pointe dite cap de Désespérance, le bien nommé sans doute.

Il entendit des bruits de pas dans l’escalier, et un homme qui arrivait en courant se mit à aboyer son rapport à Lemoine, lequel vint trouver Bolitho à son tour :

— Message du vaisseau amiral, amiral. Tous les canots sont à l’eau et les patrouilles ont été prévenues.

Bolitho les imaginait très bien : de petits piquets de fusiliers, renforcés par des volontaires de la milice. Cela ne faisait pas des forces terribles, mais, convenablement employées, elles pouvaient empêcher des assaillants de débarquer en franchissant les récifs. Il n’y avait qu’un seul passage sûr, celui qu’avait utilisé Keen. Le vieux Crocker, avec ses boulets rouges, ferait le reste si l’ennemi tentait de forcer la passe.

Les rayons du soleil illuminaient les pentes et l’eau jusqu’à l’entrée du port. Bolitho reprit sa lunette. Le canot de rade avançait lentement derrière la terre ; un aspirant se tenait debout dans la chambre, savourant sans doute sa liberté toute neuve de seul maître à bord.

— Le voilà, amiral ! cria Lemoine.

Le bâtiment émergeait derrière la pointe, ses voiles battant puis se gonflant aussitôt qu’il changea d’amure. C’était un gros vaisseau, et Lemoine y alla de son commentaire :

— Compagnie des Indes, amiral. Je le connais, c’est le Royal James ; il a fait relâche à Antigua voici quelques mois.

Des hommes se penchaient dans les embrasures, d’autres couraient sur la jetée pour aller voir ce qui se passait.

Bolitho prit sa décision :

— Je retourne à bord, monsieur Lemoine. Vous savez ce que vous avez à faire.

Il avait déjà dévalé la moitié des marches avant que le lieutenant eût pu lui répondre.

L’armement du canot se réveilla, Allday bondit sur ses pieds en voyant Bolitho arriver au pas de course.

— A bord, Allday.

Il ignora leurs regards ébahis pour essayer de réfléchir à ce qui le troublait tant. Ce bâtiment de la Compagnie devait pouvoir se réfugier ici sain et sauf avant que ses poursuivants eussent eu le temps de l’atteindre par coup de chance et de lui casser un espar ou deux. Mais avec ce vent de suroît bien établi, les autres bâtiments seraient bientôt obligés de se tenir au large de cette côte sous le vent ou essuyer le feu des canons. En plein jour, Crocker ne pouvait manquer son but.

Les avirons montaient et descendaient en cadence et, à chacun de ces coups vigoureux, le canot donnait l’impression de vouloir s’envoler au-dessus de l’eau.

Bolitho prit Allday par le bras :

— Changez de cap ! Faites route sur la pointe ! – et comme Allday hésitait, il le secoua en criant : Faut-il que je sois aveugle ! Lemoine m’a mis sur la piste sans le faire exprès. C’est décidément un jour de très grande fête !

Allday poussa la barre à fond, si bien que le canot prit une forte gîte, mais les hommes réussirent à ne pas faire de sac de bois mort.

— Bon, si vous le dites, amiral.

Il doit penser que je suis fou. Bolitho reprit d’une voix précipitée :

— Et pourtant, en cette fête de Saint-Damien, rien ne bougeait à la mission !

Allday le regardait, imperturbable.

Bolitho chercha des yeux le canot de rade, mais il était trop près de terre, non loin de la passe, et tous les yeux à son bord devaient attendre le Royal James, guettant le moment où il ferait irruption derrière la pointe.

Bolitho claqua dans ses mains. J’aurais dû m’en rendre compte !

— Les hommes sont-ils armés ?

Allday lui fit signe que oui, les yeux tout plissés dans le soleil qui l’aveuglait.

— Oui amiral, des coutelas et trois pistolets.

Il jeta un œil à Bolitho, il savait qu’il se passait quelque chose, mais hésitait à le lui demander franchement devant les hommes.

— Il faudra s’en contenter – Bolitho lui désigna une petite langue de sable. Allez vous échouer là-bas.

Les marins rentrèrent les avirons, le canot continua sur son erre, protégé par une pente abrupte. Tout paraissait soudain très calme.

— A débarquer.

Bolitho enjamba le plat-bord et descendit dans l’eau. Des coutelas et trois pistolets, contre qui ? Il ajouta :

— Envoyez un homme récupérer la patrouille près de la pointe. Dites-lui de rester bien cachée.

Allday le regardait, l’air inquiet :

— Vous croyez que c’est une attaque, amiral ?

Bolitho prit un pistolet, s’empara d’un fort coutelas dans le tas que l’on avait jeté sur la plage. Et il fallait que ce fût aujourd’hui ! Le jour où pour la première fois de sa vie il était sans arme !

— La mission. Je trouve que cela sent le roussi.

Les hommes prirent leurs armes et le suivirent docilement dans la côte escarpée puis le long de la pointe.

Le vent soufflait fort, faisant du sable un fouet que Bolitho sentait s’abattre de ces ajoncs secs et de ces buissons qui avaient pourtant l’air si accueillants, vus du large.

Il aperçut enfin les bâtiments serrés de la mission sur l’îlot, la plage déserte, l’endroit avait une apparence de désolation. Pas même un filet de fumée pour trahir un semblant de vie.

Il entendit des cris dans le lointain, des voix étouffées par le vent, comme des enfants en train de jouer. Il fit halte, tourna les yeux vers la passe puis vers la vieille forteresse surmontée de son pavillon. Les cris venaient vraisemblablement du canot de rade, car le gros bâtiment de la Compagnie surgit soudain par-dessus la pointe et se dirigea vers le havre et le salut.

Il traînait une grosse chaloupe à la remorque, mais on ne voyait que peu de monde sur le pont, des hommes parés à réduire la toile une fois que le bâtiment aurait gagné le mouillage. Il aperçut soudain le canot de rade, l’aspirant qui se saisissait de son porte-voix pour crier quelque chose au nouvel arrivant.

Bolitho reporta ses yeux sur la poignée de marins qui l’entouraient. À présent, Keen et les autres pouvaient s’occuper du Royal James. Il avait aperçu les voiles ferlées d’une frégate qui arrondissait la pointe et s’éloignait de terre tandis que sa proie se réfugiait à l’abri des canons de la forteresse. Allday annonça :

— Les barques ont disparu, amiral.

Bolitho observait le petit îlot. C’était vrai, les bateaux de pêche avaient disparu. Peut-être était-ce là toute l’explication, les moines ou les missionnaires étaient allés pêcher. Assurer sa subsistance passe souvent avant la prière.

— Regardez, amiral !

Le cri que venait de pousser Allday le fit se retourner vers la ligne de récifs la plus proche. Ils n’étaient plus déserts du tout, l’endroit grouillait de silhouettes qui couraient dans tous les sens, et le soleil faisait briller sabres et baïonnettes.

— Des soldats !

Allday leva son pistolet, haletant d’inquiétude.

— Les salauds, il y en a au bas mot une centaine !

Ils entendirent quelques coups de feu, assez lointains et apparemment inoffensifs jusqu’au moment où les balles commencèrent à miauler au-dessus de leurs têtes ou à s’enfoncer dans le sable.

— Mettez-vous à couvert !

Bolitho aperçut son marin accompagné des deux fusiliers de patrouille qui couraient au bord de l’eau. L’un d’eux tomba instantanément, les autres disparurent.

Puis on entendit une explosion étouffée, une vague impression plus qu’un véritable bruit, comme si l’on vous expulsait l’air des poumons.

Comme Bolitho se laissait rouler sur le côté pour regarder l’endroit où ils avaient laissé le canot, il se rendit compte que le Royal James tressautait violemment. Tous les sabords s’ouvrirent d’un seul mouvement, mais, en lieu et place de volées, il aperçut de grandes langues de flamme qui jaillissaient de la muraille avant de grimper à l’assaut des espars et des voiles, qui commencèrent à brûler à une allure terrifiante. La chaloupe qui traînait à la remorque faisait force de rames vers la passe.

— Un brûlot ! murmura Allday dans un souffle.

Bolitho voyait ses yeux briller aux lueurs jetées par le mur de flammes, il sentait la chaleur malgré l’étendue d’eau qui l’en séparait, comme s’il se tenait devant un fourneau béant. Le vent attisait le feu qui partait en grandes volutes et commença de pousser le vaisseau abandonné vers le port. Droit sur l’Achate au mouillage.

Des coups de feu éclataient toujours sur la pointe, Bolitho entendait les cris des soldats qui arrivaient.

Sans l’Achate, il n’y avait plus aucun espoir, plus de protection, la batterie de la forteresse avait protégé celui qui venait l’assassiner.

Allday le regardait, les yeux pleins d’éclairs.

— On se bat, amiral ?

Bolitho hésitait. Les choses allaient-elles se terminer ainsi ? Par une mort pour rien, en cet endroit-là, qui ne ressemblait à rien ? Puis il se souvint du petit tambour dont il avait recouvert le visage.

Il se leva, soupesa la lourde lame dans sa main.

— Oui, nous allons nous battre.

Autour de lui, les hommes du canot s’étaient levés, le coutelas à la main.

Bolitho essaya de ne plus entendre l’horrible grondement des flammes et tira un coup de pistolet dans la direction des soldats. Il n’eut même pas le temps de recharger, il n’avait plus le temps de rien faire.

Il bondit entre les pierres éparses et repoussa d’un revers le sabre d’un assaillant, avec une telle force qu’il en chuta dans la pente.

Le choc des lames, quelques coups de feu isolés, ce fut bientôt la mêlée. Bolitho sentait des corps se presser autour de lui, des regards qui le fixaient, des dents découvertes par la haine et le désespoir. Les soldats se précipitaient en nombre et les bousculaient vers la plage. Il en sabra un à toute force, en aperçut un autre, la gorge fendue de l’oreille au menton, sentit son coutelas riper sur des côtes, bloqua la garde d’un troisième et lui enfonça sa lame en travers du corps.

Il entendit un cri et vit avec horreur qu’Allday tombait au milieu des silhouettes qui sabraient de-ci, taillaient de-là.

— Allday !

Il bouscula un soldat, tenta de l’atteindre. Cela ne servait à rien, mais c’était pour le geste, pour l’honneur.

Bolitho laissa tomber son coutelas :

— Assez !

Puis, sans tenir compte des armes brandies, il tomba à genoux et tenta de mettre Allday sur le dos. Il s’attendait à sentir une lame lui entrer dans le corps à chaque instant, mais la chose ne lui importait plus.

Les soldats restaient là, immobiles, encore sous le coup de ce bref combat ou impressionnés par le rang de Bolitho, nul n’aurait su le dire.

Bolitho se pencha pour lui abriter les yeux de la lumière aveuglante. Il avait du sang sur la poitrine, énormément de sang.

Il lui dit d’une voix pressante :

— Vous êtes en sûreté, mon vieux, restez calme jusqu’à ce que…

Allday ouvrit les yeux et le regarda pendant plusieurs secondes. Puis il laissa échapper dans un souffle :

— Ça fait mal, amiral. Sacrement mal. C’coup-ci, les salopards ont eu la peau du pauvre John…

Un marin bondit près de lui :

— Amiral ! Les Espagnols s’enfuient !

Levant les yeux, Bolitho vit les soldats qui couraient en bondissant vers les rochers où ils avaient laissé leurs chaloupes.

Il n’était guère difficile de comprendre pourquoi. Une colonne de cavaliers, menée par le capitaine Masters, de la milice de San Felipe, arrivait au trot sur la ligne de crête, sabre au clair. Et leur silence rendait cette arrivée encore plus menaçante.

Masters tira sur les rênes de sa monture et descendit de cheval. Son visage montrait tous les signes de l’incrédulité.

— Nous avons assisté à votre tentative – les mots se pressaient sur ses lèvres. À quelques-uns, nous avons décidé de les repousser.

Bolitho le regardait sans le voir, ses yeux ne distinguaient rien d’autre que la grande silhouette de cet homme et l’épais nuage de fumée qui s’élevait du port.

— Oh non, vous arrivez trop tard !

Il ôta délicatement le coutelas qu’Allday serrait entre ses doigts et le jeta au loin dans la direction des soldats qui s’enfuyaient.

Il sentit Allday lui saisir le poignet, il le regardait, les yeux mi-clos de souffrance.

Allday murmura :

— Ne vous faites pas de bile, amiral. Nous les avons battus à plate couture, ces salopards, ça, c’est sûr.

Un bruit de bottes se fit entendre dans le sable, des tuniques rouges arrivaient de partout.

— Emmenez-le, les gars, leur dit Bolitho, mais doucement.

Il regarda les quatre soldats qui l’emportaient pour le déposer dans le canot. On entendait des explosions au loin, des voix appelaient dans toutes les directions. Ils avaient besoin de lui, l’heure n’était pas aux pleurnicheries. Il l’avait entendu dire assez souvent.

Mais il courut pourtant après les soldats, prit Allday par le bras.

— Ne me laissez pas tomber, Allday. J’ai besoin de vous.

Allday n’ouvrit même pas les yeux, il essaya tout de même de sourire tandis qu’on le déposait à bord.

Lorsque Bolitho revint sur la plage, le soleil fit jouer ses rayons sur ses épaulettes et quelques miliciens se mirent à pousser des vivats.

L’un des marins de l’armement, son bras blessé pris dans la chemise, s’arrêta pour les regarder.

— Allez, poussez vos vivats, bande de salopards, poussez-les ! Pasqu’vous avez gagné un instant de répit ? – il cracha, méprisant, devant leurs pieds, puis, avec un coup sec de la tête pour montrer les épaules de Bolitho : Vaut mieux qu’vous et qu’toute c’te saloperie d’île !

Bolitho se mit en route à travers les buissons, dont quelques-uns avaient pris feu après avoir été touchés par des étincelles du brûlot.

Ils risquaient de subir un nouvel assaut d’un moment à l’autre. Keen aurait besoin d’aide, mais tout cela apparaissait sans importance.

Allday ne pouvait pas mourir. Pas ainsi. Il était robuste comme un chêne. Il ne devait pas mourir.

 

Honneur aux braves
titlepage.xhtml
Kent,Alexander-[Bolitho-15]Honneur aux braves(1983).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Kent,Alexander-[Bolitho-15]Honneur aux braves(1983).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Kent,Alexander-[Bolitho-15]Honneur aux braves(1983).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Kent,Alexander-[Bolitho-15]Honneur aux braves(1983).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Kent,Alexander-[Bolitho-15]Honneur aux braves(1983).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Kent,Alexander-[Bolitho-15]Honneur aux braves(1983).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Kent,Alexander-[Bolitho-15]Honneur aux braves(1983).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Kent,Alexander-[Bolitho-15]Honneur aux braves(1983).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Kent,Alexander-[Bolitho-15]Honneur aux braves(1983).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Kent,Alexander-[Bolitho-15]Honneur aux braves(1983).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Kent,Alexander-[Bolitho-15]Honneur aux braves(1983).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Kent,Alexander-[Bolitho-15]Honneur aux braves(1983).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Kent,Alexander-[Bolitho-15]Honneur aux braves(1983).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Kent,Alexander-[Bolitho-15]Honneur aux braves(1983).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Kent,Alexander-[Bolitho-15]Honneur aux braves(1983).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Kent,Alexander-[Bolitho-15]Honneur aux braves(1983).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Kent,Alexander-[Bolitho-15]Honneur aux braves(1983).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Kent,Alexander-[Bolitho-15]Honneur aux braves(1983).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Kent,Alexander-[Bolitho-15]Honneur aux braves(1983).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Kent,Alexander-[Bolitho-15]Honneur aux braves(1983).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Kent,Alexander-[Bolitho-15]Honneur aux braves(1983).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Kent,Alexander-[Bolitho-15]Honneur aux braves(1983).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Kent,Alexander-[Bolitho-15]Honneur aux braves(1983).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html